Record du monde de Slackline à Navacelles, une manifestation illégale et désastreuse
Le Tribunal Administratif de Montpellier vient de déclarer illégal l’arrêté préfectoral qui avait autorisé en 2017 une manifestation sportive de SLACKLINE(1) dans le cirque de Navacelles au motif de son impact sur la nidification de l’Aigle royal. Ce dossier est un exemple remarquable d’accord entre acteurs économiques et corps préfectoral lorsqu’il s’agit de mépriser les acteurs de la protection de la biodiversité…
Le Club des Entrepreneurs de Quissac–Ganges prétend développer le « tourisme durable » mais se soucie peu de l’Aigle royal !
Début janvier 2017, ce club d’entrepreneurs a eu la brillante idée d’organiser une manifestation de slackline en plein milieu du cirque de Navacelles pour promouvoir le tourisme « durable ». Un record du monde était annoncé, la presse était conviée. Problème, la manifestation devait se dérouler début juin en pleine période de nidification de l’Aigle royal, espèce protégée emblématique du cirque mais sensible au dérangement. Alors que les acteurs des sports de nature, les gestionnaires de sites naturels et les associations de protection de l’environnement discutent régulièrement pour concilier protection de la nature et fréquentation, les entrepreneurs locaux n’avaient pas l’intention de remettre à plus tard leur génial coup de com’ !
Quand il s’agit de faire plaisir aux entrepreneurs, les préfets du Gard et de l’Hérault sont au garde-à-vous
Vu les risques pour la reproduction du couple d’Aigle royal, les DDTM(2) de l’Hérault et du Gard, comme les associations de protection de la nature, avaient souligné l’impossibilité d’autoriser cette manifestation à cette période de l’année et la nécessité de la reporter de quelques semaines. Mais c’était sans compter sur le sous-préfet du Vigan, Gilles Bernard, qui, autoproclamé spécialiste de la biologie de l’Aigle royal, affirmait dans un courrier du 13 avril 2017 : « je suis en désaccord avec les conclusions de la DDTM, car l’impact de cette opération est surestimé par ces services ». Courageusement, les Préfets de l’Hérault, Pierre de Bousquet de Florian, et du Gard, Didier Lauga, décidaient d’autoriser la manifestation de slackline par un arrêté du 2 juin 2017, publié le jour de la manifestation, évitant ainsi tout risque de saisine du juge avant la manifestation par les associations.
Quand le tribunal administratif de Montpellier se moque lui-aussi des associations
Face à l’impossibilité de saisir le juge administratif avant la manifestation, nous l’avons saisi a posteriori afin que soit confirmée l’illégalité de telles pratiques, à des fins pédagogiques. Las, 2 mois après le dépôt de notre requête, le tribunal la rejetait au motif que les faits étaient passés et qu’il n’y avait plus lieu de juger. Il nous a donc fallu saisir la Cour d’Appel de Marseille pour qu’elle rappelle au juge administratif de Montpellier son obligation de juger ce dossier (arrêt du 7 mai 2018). Et c’est le 17 septembre 2019 que nous avons enfin obtenu du Tribunal Administratif de Montpellier l’annulation de l’autorisation de la manifestation, en raison de l’absence d’évaluation de l’impact sur la nidification de l’aigle. Si nous avons obtenu gain de cause, il faut noter que le Tribunal Administratif de Montpellier a encore une fois refusé de nous accorder le remboursement de nos frais de justice, alors qu’il n’hésite pas à nous condamner dès que nous perdons. De là à penser que certaines juridictions font tout ce qui est en leur pouvoir pour décourager les associations de protection de la nature…(3)
Et l’Aigle royal dans tout ça ?
La manifestation, autorisée pendant 7 jours de 5 h à 22 h, s’est finalement déroulée sur 4 jours. L’aiglon est mort quelques jours plus tard, dans un état de maigreur extrême. Bien qu’il soit impossible de prouver le lien direct entre la manifestation et la mort de l’aiglon, l’autopsie a montré qu’elle était due à l’aspergillose, une maladie qui apparaît notamment en cas de stress. Chacun se fera son opinion !
« Nous ne demandions pas l’annulation de la manifestation mais son report de quelques semaines, le temps pour le jeune aigle de prendre son envol. C’était manifestement déjà trop. A l’époque, alors que ce jeune aigle se mourrait, nous avons subi le battage médiatique autour de ce record. C’est un très mauvais souvenir. Même si nous faisons tout notre possible, nous faisons encore face à une résistance très forte de l’ancien monde. Au final, en plus du record du monde de slackline qui n’aura tenu que 15 mois, cette manifestation aura battu un record de bêtise. Au nom du tourisme durable et de l’écologie souriante ! »
(1) Slackline : Funambulisme sur une sangle tendue entre deux falaises.
(2) DDTM : Direction Départementale des Territoires et de la Mer, service déconcentré de l’État sous l’autorité du préfet
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