Hérissons-nous ! Lettre d’info de FNE LR – n°30, mars 2023
Edito du Président
Depuis l’été dernier, les Pyrénées-Orientales subissent un déficit pluviométrique digne de régions désertiques. La sécheresse historique vient percuter nos actions pour le respect de la vie aquatique. Pour certain.e.s, elle les questionne. Notre action pour le respect des débits minimum biologiques dans les Pyrénées-Orientales ne date pas de cette année. Elle a démarré en 2017, alors que les débits réservés des canaux d’irrigation auraient dû être relevés depuis 2014. La décision du Tribunal Administratif de Montpellier du 29 novembre 2022, qui relève ces débits à l’aval du barrage de Vinça, rappelle clairement qu’un débit minimum biologique n’est pas le fruit d’une négociation entre syndicats agricoles et Etat. Suite à cette décision, plutôt que d’en tirer les conséquences, la chambre d’agriculture a créé la panique en annonçant l’apocalypse, et en nous désignant comme responsables. Elle est allée, avec quelques députés RN, jusqu’à faire pression sur nos financeurs publics pour qu’ils cessent de financer nos actions de sensibilisation. Dans ce contexte, l’Etat a courageusement choisi de suivre le sens du vent, en faisant appel de la décision de justice, sous la pression du syndicat majoritaire et contre l’avis du ministère de l’environnement. Ce dossier est en passe de devenir un cas d’école de la manière dont est traité le droit de l’environnement aujourd’hui en France, et ceux qui le défendent légitimement.
L’eau est un bien commun indispensable pour la vie des rivières mais également pour l’eau potable des humains. Elle ne peut être accaparée par les intérêts d’une minorité d’irrigants. Avec des prises de position aussi extrêmes, la FDSEA66 contribue à donner une image déplorable de l’agriculture. Les cours d’eau ne sont pas des tuyaux, mais des milieux naturels, qui concentrent une grande richesse biologique sur leur faible surface, particulièrement dans des climats arides. Ils ont été massacrés par l’humanité au cours des 200 dernières années (disparition de 85% des zones humides depuis le 18è siècle selon l’IPBES) et ont donc déjà payé mille fois leur tribut au « progrès » humain.
Nous ne revendiquons pas le retour à des cours d’eau au débit naturel sans aucun impact anthropique, seulement le respect d’un minimum inconditionnel garantissant la vie, ainsi qu’un fonctionnement satisfaisant dont découlent des services écosystémiques qui bénéficient aux humains. Si nous ne sommes pas là pour le faire, qui le fera ? Visiblement, pas l’Etat.
La sécheresse exceptionnelle que nous vivons change-t-elle quelque chose ? Les stockages, solution plébiscitée par le monde agricole, se sont peu remplis cet hiver, comme l’ont déjà expérimenté de nombreuses autres régions du monde. L’agriculture irriguée est donc menacée cette année. Au nom de cette crise, devrions-nous accepter le sacrifice de la Têt ? Je pourrais faire une réponse juridique : pas dans les limites définies par la loi. Mais au delà du droit, c’est bien maintenant que tout se joue. Si nous capitulons face à cette sécheresse au nom de l’exception, que ferons-nous demain, lorsque l’exception deviendra la règle ? Est-ce le monde d’après que nous voulons ? Un monde où les cours d’eau sont morts du fait d’une sécheresse créée par l’humanité, mais où l’on pourrait encore, pour un temps, exporter nos productions ? C’est le moment de tenir la position, et il est regrettable que nous soyons si peu à avoir le courage de le faire. Dans les campagnes du Roussillon et des Corbières, la terreur règne, et de trop nombreux élus, de droite comme de gauche, hurlent avec les loups sans se soucier de l’intérêt général, au nom du maintien, le plus longtemps possible, d’un modèle agricole encore trop gaspilleur d’eau et trop dépendant de l’irrigation.
Pour nous, l’intérêt général passe par le maintien d’un minimum pour les écosystèmes, et un partage équitable du surplus – s’il existe – entre les différents usages humains. S’adapter ne signifie pas s’accaparer la part minimale des écosystèmes, mais réduire les usages, les optimiser, et les prioriser en fonction de la diminution de la ressource. Faute d’anticipation suffisante des limites écosystémiques, l’agriculture risque de subir une pression de sélection drastique dès cet été, ce qui ne sera pas sans dommages économiques et sociaux. Ceux qui s’en sortiront le mieux ne seront peut-être pas ceux que l’on croit, bénéficiaires d’un système d’irrigation, mais aussi dépendants et donc vulnérables. Quoi qu’il arrive, il n’y a aucune raison que la nature paye une fois de plus l’addition des erreurs de l’agriculture intensive. Il est de notre responsabilité de nous en assurer en rappelant les limites légales, tout en continuant à appeler de nos vœux la révolution agroécologique.
Simon POPY